L'INSOLENCE DE THIERRY CHEVERNEY
UNE VISION CONVULSIVE DU MONDE
Thierry
Cheverney est apparu, avec quelques autres, sur la scène artistique,
lors de l'exposition de l'ARC, "Ateliers 81-82". On a alors parlé de
"figuration libre", "nouvelle image", "bad painting", etc. Aujourd'hui,
Thierry Cheverney expose en solo, à la galerie Breteau, de grandes
peintures, agressives à souhait, qui sont cependant des images fortes
de la conscience qu'a un jeune peintre du monde dans lequel il vit.
La
toile, Thierry Cheverney la prend là où il la trouve, grandes bâches
récupérées, pans de tissus mal délimités, et s'il lui arrive de mettre
un cadre à son tableau, c'est pour se moquer. Le médium, c'est l'huile,
très épaise, à grands coups de pinceau. Le geste doit accompagner,
soutenir une couleur qui éclate, vous saute à la figure, vous coupe le
souffle. Jaune, rouge vert, bleu, à outrance, jamais de demi teintes,
la violence s'affirme dans le choc, l'affrontement des tons primaires
qui se heurtent les uns contre les autres. Quant aux images, ce que
l'on appelle le sujet, elles ne sont pas là pour nous entrainer dans
les plaisirs immobiles d'une délectation purement intellectuelle, mais
pour déstabiliser ces rapports confortables que nous avons pris
l'habitude d'entretenir avec l'oeuvre plastique. Et il nous faut aussi
renoncer au système référenciel, lié pour une grande part à l'histoire
de l'art, sur la base duquel nous fonctionnons, pour nous tourner vers
d'autres sources comme la B.D. et la science-fiction, et chercher là,
entre réalité et éclatement de cette même réalité, une vision
convulsive du monde d'aujourd'hui qui a parfois des allures
d'apocalypse.
Avec Thierry Cheverney, l'homme est un robot
mécanisé sans pouvoir de déscision. Le soleil tourne à cent à l'heure.
Le prochain désastre sera nucléaire. Les ciels étoilés s'affolent et,
d'un téléviseur, il peut sortir n'importe quoi. Il y a chez ce jeune
artiste de l'insolence à vouloir ainsi provoquer le regard. De cette
insolence que l'on imagine à Rimbaud, qui savait y ajouter ce don
précieux en matière de création, la voyance.
L'avenir dira si Thierry
Cheverney tient ses promesses dont il semble aujourd'hui avoir les
moyens.
Maïten Bouisset. Le Matin. Juin 1982