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MONSIEUR MASDUPUY



"Monsieur Masdupuy", la toute première "Aquarelle" de Cheverney date de 1988; quatre années de travail et trois expositions plus loin, Cheverney nous livre cette quatrième étape, déterminante dans l'évolution des "Aquarelles" en ce sens que, comme nous le verrons, elle se situe à l'extrême limite de la peinture, au confins de la Non-Peinture.

Les six tableaux présentés à la galerie Praz Delavallade sont habités de la détermination et du travail du peintre dans sa tentative d'évacuer les contraintes cognitives, historiques et techniques pour mieux disparaître au sein de la peinture.
Le concept d'Aquarelle est intact, il peut se définir par une formule simple: prendre un support rigide, le recouvrir intégralement et définitivement de petits morceaux de carton; les espaces résiduels résultant de la première opération seront comblés de crème de peinture de couleur grise, appliqueé au couteau; le tout pour finir sera bordé par un cadre de cornières métalliques peintes. Les vocabulaires relatifs de la technique, des éléments constitutifs de leur syntaxe ont progressé vers une cohérence plus compacte, pour une plus grande sensibilté de l'image.

Les formats sont jusqu'à quarante fois plus petits que ceux de la précédente génération exposée à ART' CO 91. Cette modificationd'échelle a eu pour conséquence formelle de réduire la taille des fragments de carton -sans rien changer pour autant à la densité de la composition-, et d'asseoir les choix portant sur les dimensions du réseau de peinture.

Ce qui caractérise cette série est incontestablement la purification qui a gouverné sa conception. Tous les éléments jugés superficiels ont été évacués. Les fragments de carton frappés d'un signe, d'un symbole ou d'un mot indiquant sa provenance industrielle ont disparu, seuls persistent des morceaux vieges dans une gamme de coloris encore plus restrinte: le camaïeu de couleurs sages du réseau de peinture se retrouve réduit à la simple monochromie gris-carton. Les cornières quant à elles sont peintes dans une couleur élaborée en fonction du contenu et non plus laisées dans leur couleur d'origine. Ce dépouillemnt de l'oeuvre lui donne une plus grande lisibilité, plus aucun "bruit" ne subsiste entre l'image et l'oeil.

La composition est intuitive, les morceaux de carton se collent et s'articulent d'eux-même au fur et à mesure de l'avencement de la couverture du support. Elle est organisée dans une orthogonalité aproximative suivant las bords du tableau mais sans direction particulière, ni partie principale. En revanche, les différences de texture des cartons et leur agencement créent des profondeurs tant visuelles que réelles, comme "un arrière monde préspatial" préexistant à la peinture. Les rapports de force entre la couleur du carton et la couleur de la peinture d'une part, la composition et l'entreprise volumique de la peinture d'autre part, tendant vers un &quilibre juste car tiré jusqu'à l'instabilité.
Les choix du peintre se résument désormais à l'absence puisque couleur, technique, composition et achèvement sont prédeterminés par le procédé. De manière complètement paradoxale dans la peinture, l'artiste peintre connait à l'avence l'exact instant de la réalisation finie de son oeuvre, ici en l'occurence il s'agit de la complétude du réseau "peint" et de la pose des cornières. Ainsi donc tout ce qui fait du peintre le maître de son tableau, l'unique possesseur de la clef du mystère de l'achèvement disparaît dès la phase de collage, qui elle-même résulte d'un processus instinctif, intuitif et d'une simple volonté de all-over. Cheverney exécute le tableau, comme seul il sait le faire, hors de toute pensée, comme si la finitude de l'oeuvre lui était immanente. La peinture est raccourcie ici à sa plus difficile expression, sa finition indiquant clairement que seule l'interférence de l'Image et de l'Esprit intéresse Cheverney. L'icône n'existe que le tableau accroché au mur.
La ligne ou segment linéaire de peinture qui est la valeur de base duréseau n'est pas le cerne redondant de la réalité du carton, cette ligne ne délimite pas le carton, n'en souligne pas non plus les contours; c'est encore moins la ligne du peintre-dessinateur , celle des séparations arbitraires et nécessaires à l'information de l'image. Cette ligne est épaisse, droite comme le trait de l'architecte, le seul trait porteur d'un sens intrinsèque, signifiant la réalité géométrique du matériau et la spiritualité de sa mise en oeuvre. La peinture est continue et linéaire sans pour cela être ou détenir une quelconque historicité de sa facture. Le réseau agit tel une grille posée devant le tableau, dans une parfaite planitude à travers laquelle existe à des distances perceptives variables une composition de carton rappelant le plan de projection des maîtres renaissants.

Force nous est de constater que Cheverney possède complètement le procédé de Non-Peinture totale qu'il a deviné et par lequel il touche ici à la valeur sacrée et émotionelle de la Peinture, de manière quasi archipoiète. La peinture est transparente, et la nature picturale du tableau se lit au-delà de celle-ci, en son absence. Cette transcendance habite l'espace subjectif séparant la peinture de la composition, désignant l'intelligence hors de toute pensée comme première nécessité vitale de la peinture.



Philippe Émile Daubry








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