LES FASCISTES À L'ASSAUT DE L'ART CONTEMPORAIN
Le Monde Libertaire
N° 1081 (24-30 avril 1997)
"Les
artistes ont peur, ils se parlent dans le creux de l'oreil d'un
croque-mitaine qui pourrait bien les empêcher de faire leur petites
saloperies."
Francis Picabia
L'inquiétude
gagne. L'industrie fasciste lance une M.A.P. (Manoeuvre d'Agression
Publique) sur le conglomérat transnational de l'art contemporain, dont
les actionnaires principaux se concertent afin d'organiser une minorité
de blocage, espérant entrainer dans leur sillage les petits porteurs
pour faire front au front.
Ces offensives que subissent les
actionnaires bousicoteurs de l'art contemporain, ne saurait nous
concerner.Comment pourrions-nous soutenir ce milieu de l'art qui
entretient dans son fonctionnement à peu près tous les symptômes
détestables: hiérarchie, attributions de privilèges, jeux de rôles,
attirance vers les médias et la pub, positions stratégiques à l'oeuvre,
compromissionsde tous ordres et pognon?
L'art a raté à trois reprises le train de ses utopies
En
l'espace d'un siècle, le XX°, trois mouvements artistiques visionnaires
nous ont donné les moyens intellectuels de transformation de la société
dans un sens favorable à l'humanité. Le message et les conditions de
cette transformation étaient les mêmes, d'un mouvement à l'autre:
dépasser l'art et permettre à la société de se substituer à l'art pour
se réaliser. C'est ce qu'ont énoncé les mouvements Dada, Surréalite et
Situationniste. Mais il y avait une contrainte de poids qui était la
remise en question de tous les acquis qui en contrariaient la mise en
oeuvre. Ces trois mouvements artistiques n'ont eu de cesse de préparer
les esprits à cette transformation, qui proposait au nom des dadaïtes
la destructions des codes établis, au nom des surréalistes le "lâcher
tout" et au nom des situationnistes la transformation ludique de la vie
quotidienne. Tous ces mots d'ordre se sont placés dans une évolution
consciente de la destination logique de l'art, abandon, transformation
et dépassement. Ils impliquaient une prise de position politique
radicale qui n'était pas du goût de ceux qui étaient visés, mis en
cause, mais dont les pouvoir et la science faisaient autorité,
permettaient à l'art de se médiatiser, aux artistes de divulguer, de
vulgariser et de communiquer leurs utopies, sans pour autant en
favoriser les réalisations. Il faut dire que le mot d'ordre dadaïste, à
l'origine de cette remise en question et de cette proposition de
transformation du monde était en complète contardiction avec le système
de pensée en cours et ceux qui décidaient du sort de l'humanité. Les
dadaïstes face à cette situation se sont autodissous. Les surréalistes
se sont plus ou mopins compromis ou ont reproduit en interne ce qu'ils
dénonçaient généralement, ce qui les amena à leur éclatement. Les
situationnistes ont presque rejoint l'utopie avec les évenements de mai
68, symbole de leur victoire et de leur échec. La condition de
réussite, le passage de l'art à ses utopies réalisées était donc la
remise en question d'une société injuste et manichéenne, qui concevait
la coexistance de l'art et de la barbarie.
Qu'en est-il aujourd'hui ?
Les
artistes connaissent ce passé et les engagements qu'il impliquait, que
l'art aurait du disparaître comme concept, comme produit, au profit du
sentiment, du vécu de réalisation d'un monde volontairement humain.
Nous savons aussi que l'art n'était qu'un moyen, qu'un outil permettant
cette réalisation et qu'une fois en cours, l'art devait s'abandonner à
la vie. Tous les autres mouvements artistiques qui ont suivi ont ignoré
cette destination de l'art et l'ont vidé de ces utopies. Aujourd'hui,
l'art est contemporain comme jeu édulcoré d'un monde par lequel il a
accepté d'être pétri. Il est un archaïsme en ce qu'il a été et reste un
instrument de l'histoire et non sa force motrice. S'étonner aujourd'hui
des attaques dont il est l'objet consiste à nier que ces attaques sont
d'ordre formel. Les fascistes ne s'en prennent pas à l'ordre
hiérarchique qui prévaut dans le milieu de l'art. Il est évident que le
fascisme n'est pas opposé à l'art contemporain. Le FN n'est pas opposé
à sa forme marchande, élitaire et privative. Il n'set pas non plus gêné
par l'utopie, relégué dans les "poubelles de l'histoire" demuis
longtemps. Ce qui gêne le FN, c'est de ne pas pouvoir y intégrer pour
le moment sa propre imagerie, sa conception, comme les artistes
futurites fascistes italiens avaient s'intégrer dans le processus des
avants-garde des annés vingt.
Mais le milieu de l'art
contemporain, à bien y réfléchir, n'a-t-il pas les mêmes intérêts
fondamentaux que les fascistes ? Le refus absolu de la résurgence de la
vieille utopie de l'art qui n'est qu'utopie de l'homme vivant,
débarrassé des multiples oppressions qui pèsent sur lui et des
violences dont il est constamment la victime et débarrassé de tout
appareil, également quand il a pour nom "art".
L'art soumis à
la production, aux intermédiaires, aux institutions, aux intérêts
particuliers et à la spéculation reste imbriqué dans une
hiérarchisation de ses prérogatives et de sa présence dans le visible.
Les situationnistes avaient dénoncé cette mystification de l'art et de
son spectacle dans leur volonté d'anonymat, du rejet des droits
d'auteurs et de la possible diffusion sans nomer les sources, c'est-à
dire la volonté de déprivatiser et de lui enlever sa valeur marchande,
spéculative et hiérarchisante. La question , encore aujourd'hui en
suspens, n'est pas abordée dans ce conflit qui oppose art et fascisme.
Le fascisme est soluble dans la démocratie
Les
élus FN le vomissent sur toutes les antennes, bave rageuse et aigre aux
commissures: "le FN est un parti démocratique, qui sera élu
démocratiquement". Difficile à croire. Et pourtant le FN a raison.
Refusant cette évidence, nous ne voulons pas convenir que le FN n'aura
pas besoin d'une autre structure que la démocratie pour imposer sa
pathologie. Ainsi, nous dédaignerons de voir ce qu'est réellement la
démocratie, quels en sont les dangers pour l'homme, quels intérêts elle
sert et qui en jouit.
La communauté artistique, néant politique,
pour se prémunir des attaques qu'elle subit, se défend au nom de la
démocratie. Comment peut-on être d'une telle naïveté ? Comment peut-on
prétendre à une quelconque indépendance sans voir quel rôle joue la
démocratie et quels liens elle a pu tisser avec le fascisme ? Comment
ne pas avoir encore compris que le fascisme était l'avant garde de la
démocratie, que toute démocratie utilisait le fascisme à ses propres
fins, quand sa légitimité était menacée et quand elle montrait au monde
qu'elle n'était qu'un fantasme de liberté ? Comment ne pas avoir vu
que, par conséquent, le fascisme était soluble dans la démocratie ?
Comment ne pas avoir vu les liens de parenté entre l'actuel ministre de
la culture, également maire de la ville la plus réactionnaire,
répugnante et mensongère de l'univers et la culture fasciste ? A aucun
moment, en deux ans, il n'y a eu une levée de bouclier contre Douste,
et maintenant, on joue la pucelle effarouchée alors que le
croque-mitaine montre ses crocs. Risible !
Un tel niveau
d'inconscience est révélateur de deux choses: quel que soit le régime,
l'art n'a plus d'avenir, ayant été détourné de sa logique destinée, il
n'a de réalité que celle de la circulation spasmodique de son symptôme
douloureux. Dure réalité ! Il est également révélateur de l'ignorence
d'un autre posssible et de son appartenance à la culture bourgeoise qui
oscille entre démocratie et fascisme, comme bon lui semble.
L'art
devait s'arrêter, dans son acception connue avec le mouvement Dada. Les
surréalistes ont essayé d'enfoncer le clou, en vain. Les
situationnistes ontréhitéré avec insistance et véhémence. Rien n'y a
fait. les artistes ont continué leurs singeries et s'insurgent
maintenant de ce qu'ils n'ont su éviter.
Le destin de l'homme et
les conditions de sa libération sont ailleurs que dans les affétéries
d'artistes et la cabale menée par le FN contre l'art contemporain sera
vite réglée par la nouvelle catastrophe qui va nous tomber sur la
gueule la semaine prochaine et ainsi de suite de semaine en semaine.
Comme d'hab ! Et les artistes continueront à faire leurs petites
saloperies, à se démener pour continuer d'exister comme producteurs de
faux semblants et d'en récupérer les dividendes.
Et l'art, petit déchet, continuera de flotter sur un océan de merde.
Thierry Cheverney. Le Monde Libertaire