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JASPERT  CHEVERNEY


Nouveaux  venus à Paris, ils allient le cactul fractal à l'art traditionnel du laque, et pratiquent la synthèse comme ils respirent



Combien de peintres aujourd'hui se soucient donc des derniers développements de la physique, de la biologie, des dernières aventures de la matière ? La conscience semble délaisser la science, et l'art nêtre plus le contemporain de la pensée sur le réel. La technologie ou les mathématiques servent trop souvent de cache-indigence à des gens qui n'en picorent que l'enveloppe. Et si Stéphane Jaspert et Thierry Cheverney occupent aujourd'hui, sur la scène française, une position originale, c'est par leur refus d'utiliser la science comme un concept, et par le déploiement d'une vision de la peinture comme restitution d'une parole volée: le dialogue du destin et de la matière.

Considérer l'art comme "cosa mentale" n'exclut pas les tatonements instinctifs dans la grande pagaille du visible, les amenant à expérimenter six mois durant toutes les combinaisons possibles de vernis, ou à passer une journée entière à tester une couleur. Mais c'est l'invisible, entre la planète et la molécule, qui se montre à l'oeil nu sur les panneaux laqués de Cheverney Jaspert.

La synthèse qui s'opère, entre le gigantesque et le minuscule, se démultiplie dans leur oeuvre, qui se tient entre les pôles magnétiques du minimalisme et du gestuel, de la peinture américaine et du paysage Song, de la mystique et de la science, de la masse de couleurs et de l'acuité du trait. Jaspert et Cheverney pratiquent l'harmonie des contraires comme on respire: ils sont une porte battante. Alors que le premier noircit des carnets entiers, le second déteste le dessin, échaudé peut-être par les quelques années qu'il passa à New-York, lancé comme "Néo-Surréaliste" avec Peter Schuyff et George Condo. De retour à Paris, et alliance passée avec Jaspert, plus grand chose à perdre: ils se jetèrent dans la vitesse, et y trouvèrent l'immobilité. C'est-à-dire, au delà de la mulière, le point où Pollock rejoint Rothko, et Malaval, Jenkins. Le point où l'abstraction (de quoi ?) touche la figure, et où la cartographie aérienne jouxte la thermographie des corps.

Arrivée à ce point, la matière picturale fait ses valises: les lignes s'amusent à frôler l'horreur indistincte des masses de couleurs emplies de la joie brûlante de leur expansion. Imaginez un instant un ver de terre cherchant son chemin au beau milieu d'une party entre mollécules et métastases... Ou le "portrait de Madame Rivière" d'Ingres, égaré dans les "Massacres de Scio"... car le travail de Jaspert et Cheverney comporte une part d'aléatoire; on peut définir le hasard par ce terme, allié à celui de JEU. Dans le jeu de la matière on trouve la JOIE, une joie cruelle et grinçante. Partant de la théorie scientifique pour trouver l'émotion, chaque toile fait cracher à la couleur et à la ligne ce qu'elles recèlent de plus précieux: l'affirmation, toute simple, de la présence difficile de l'homme au monde.

Nicolas Bourriaud

Votre travail est-il une tentative pour concilier la représentation du monde et un vocabulaire minimal?

Jaspert Cheverney

La physique nous apprend qu'il ne peut exister de vision totalisante, qu'elle ne peu-être que fragmentaire. Le problème du regard occidental, est qu'il voit le fragment comme faisant partie d'un tout... En fait, tout s'enchaine, tout est lié, et on découvre peu à peu que la totalité est aussi incluse dans le fragment, comme dans un hologramme. Alors, oui, nos toiles sont des représentations du monde, mais des représentations qui se refusent à séparer l'élément du tout, le sujet de son environnement, et la matière de l'intelligence.Tout comme la pensée fait partie de la nature, et la nature de la pensée.C'est pourquoi nous nous sentons plus proches de Pollock Que de Barnett Newman: comme Pollock, nous manipulons et nous stucturons des formes alléatoires.


Nicolas Bourriaud

Comment l'image fractale, que vous utilisez, pourrait-elle renouveler notre image de l'univers ?

Jaspert Cheverney

Le cactul fractal, qui est une géométrie des phénomènes naturels, permet de calculer des formes "aléatoires", comme celle d'un nuage ou d'un gruyère, sur la base de la géométrie euclidienne traditionnelle.
La "fractalisation" est pourtant arrivée par hasard dans notre travail. Un jour, en exécutant des ponçages pour faire disparaitre la trame et les coups de brosse, des formes surprenates sont apparues.
Au même moment, nous névorions le livre de Benoît Mandelbrot, "Les objets fractals"...
Nous avons décidé d'explorer ce hasard, et d'adapter l'univers du cactul fractal à une représentation picturale dans laquelle chaque surface peinte est une portion de territoire. La ligne, elle, évoque lumière et vitesse, mais surtout la destinée humaine, en tant que traversée de territoires. C'est tout simplement l'histoire de l'homme dans l'univers. Nous harmonisons toujours l'aléatoire, parce que la nature est ordonnée et harmonieuse.
Le hasard, la catastrophe, n'est que ce que l'homme ne peut maîtriser: c'est ce qui échappe à la représentation, car il n'y a pas d'aléatoire dans la nature. Au contraire, c'est une donnée fondamentalement humaine. Bien sûr, les lois de l'univers intègrent l'homme, mais celui-ci y oppose une résistance farouche!
Nous sommes des nomades, en quête de notre destin, parce que nous nous refusons à l'ordre naturel.

Nicolas Bourriaud

À quoi renoncez-vous, par votre condition "d'artiste à deux têtes" ?

Jaspert Cheverney

L'idée de départ de notre association était de créer une synthèse cohérente et harmonieuse de nos deux personnalités, en échappant donc aux pulsions strictement individuelles, à l'anarchie du désir personnel. Nous ne devons faire qu'un. eT donc se refuser à tout ce qui ne nous est pas commun, tout ce qui n'est pas acceptable pour ce personnage à deux têtes, fictif, qu'est "Jaspert + Cheverney".

Il ne s'agit donc pas de refuser l'expression, mais d'une volonté de pureté, dans l'idée et par le traitement de l'image. Notre oeuvre se refuse à toute anecdote.


Nicolas Bourriaud

Votre passion pour la vitesse n'est-elle pas un conformisme ? L'art a toujours été une résistance au temps et à l'espace communément admis. Aujourd'hui, n'est-il pas plus important d'en finir avec le culte de la vitesse, qui rapproche dangereusement la peinture du système de production régi par le redement ?

Jaspert Cheverney

Il ne s'agit pas, dans notre travail, d'une vitesse matérielle, reliée à l'objet, mais d'une méta-vitesse, analogue à celle de l'Éveil. Nous montrons la clarté et l'immédiateté du fonctionnement de "l'intelligence naturelle". Elle se confond avec la lumière, qui l'unité de la vitesse: même si la lumière inclut encore le temps, ell est pour l'esprit humain proche de la fulgurance. Quant au temps commun, la seule manière de lui résister est de s'adresser,  dans un au-delà, à un spectateur qui n'existe pas.
Notre travail se veut, en effet, intemporel, amis la technique que nous utilisons nous replace dans l'histoire. Car nous travaillons d'après les principes des laqueurs chinois et japonais, dans le fil 'une tradition millénaire qui appelle l'immuable, l'éternel, par le biais d'une continuité historique. Nous avons commencé à nous intéressé à l'art en cherchant à montrer un champ pictural pur et lisse, propice à la représentation de la vitesse. Le laque est une technique extrêment minutieuse, quasiment ascétique, qui demande des précautions infinies, même si nous employons des outils mécaniques. Les vingt à trente couches de peinture nécessaires sont nettoyés, poncées, polies, pour atteindre la brillance finale, presque immaculée. La différence essentielle entre nous et les laqueursorientaux est d'ordre pratique: ils ne travaillent pas en milieu urbain, mais dans de petites cabanes, sur des plans d'eau, qu'ils atteignent à la nage, entièrement nus. S'il y a du vent, ils ne travaillent pas, car les impuretés et les poussières pourraient les gêner.

Nicolas Bourriaud

Peut-on utiliser l'image tout en proclamant la mort de la peinture, comme certaines tendances vaguement "cyniques" de l'art aujourd'hui?

Jaspert Cheverney

L'attidude cynique est une arme suicidaire qui produit un art de fin du monde. Un peu comme le "Doom's day machine", l'ordinateur qui contrôle la force de frappe nucléaire américaine. Une oeuvre vraiment forte, à l'opposée, immobilisera et transcendera quelques unes des images qui sont produites chaque jour par mégatonnes. Richter et Polke sont peu-être les deux seuls peintres contemporains qui transcendent l'image. Ils la montrent, mais ce n'set pas l'image qui est visible, c'est leur capacité de transcendance
, cette ligne qui ne commence nulle part, vouée à une course sans fin. Tout comme celle que nous représentons, qui pourrait constituer un cercle.
 




Nicolas Bourriaud








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