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"Le pouvoir bascule et l'homme se retrouve face à son destin. Il se crée par conséquent une notion d'urgence.

Ma dérive autour de l'histoire de l'art a été sollicitée par les grandes options de la tradition moderne européenne."


"De part notre posture interactive (être un élément relativisé sur une chaîne où tout agit) obligation nous est faite de participer à des situations inédites, d'en énoncer les règles du jeu, de se comporter comme des artistes qui doivent proposer des seuils de perception et des fictions nouvelles, oser et assumer chaque fois, la légitimité de leurs propositions sans modèles : (...) en théorie, prendre le risque de nouvelles images..."
Elie Théofilakis, Les Immatériaux.
Paris. 1985


Maïten Bouisset

Avant de partir pour les Etats Unis en 1982, vous aviez vécu deux expériences significatives du climat parisien de l'épôque, l'une concernait la vie associative et cette usine Pali-Kao , où vous étiez installés à plusieurs pour peindre, et l'autre, cette peinture exprexxive, violente et figurative, dans lquelle vous sembliez vouloir engager votre oeuvre. Quel regard portez-vous aujourd'hui sur cette période?

Thierry Cheverney

C'est en effet en 1981 à Pali-Kao que les choses ont vraiment commencé, avec une exposition collective intitulée: Vous avez dit baroque! Nous étions quetre dans ce lieu fantastique qui était celui de notre travail, mais aussi celui où nous organisions expositions et spectacles. Nous nous sentions très impliqués dans le climat particulier de l'époque, où l'on assistait un peu partout dans le monde à une montée croissante du terrorisme et à une explosion grandissante de la violence, et il nous paraissait important d'affirmer une certaine volonté de déstabilisation quant aux valeurs en cours qu'elles fussent d'origine politique ou esthétiques. Quand je pense à cette période, il me semble qu'au fond notre démarche était très marquée par l'esprit Dada. Ma peinture se voulait sans la moindre concession esthétique et en ce sens elle était à l'image de ma propre quête d'absolu.

Maïten Bouisset

Pourquoi avez-vous éprouvé le besoin de partir pour New York, et surtout pourquoi y êtes-vous resté, alors qu'en France et très vite au niveau international, le marché comme les insttitutions ont été particulièrement attentifs à votre génération?

Thierry Cheverney

J'avais déjà fait un séjour aux États-Unis et j'étais fasciné par l'énergie fantastique, bondissante que l'on trouve là-bas, ainsi que par ce désir omniprésent chez les créateurs américains de renouvellement continuel. Je voulais vivre tout celà d'un peu plus près. Par ailleurs, je voulais enrichir mon travail d'un nouvel apport technique. À New York, je pensais trouver cette possibilité ayant remarqué que les artistes américains étaient plus naturellement rigoureux quant à la technique. Les intentions "politiques" de mon travail se sont trouvées ainsi mises en retrait, d'une part  du fait de mon désir d'acquérir une solide technique et d'autre part, parcequ'il me paraissait inutile et déplacé de développer une dialectique politique dans un pays où il n'y a pas de consciencepolitique forte et d'opposition réelle de partis antagonistes. Au États-Unis, on ne se positionne pas socialement par le biais d'une idéologie politique spécifique. Les Américains formulent des opinions politiques sans pour autant se cloisonner dans un parti. Je me suis donc senti démobilisé par rapport à mon fonctionnemnt antérieur, mes préoccupations étant dès lors d'ordre plastique, esthétique, technique. J'ai ressenti la nécessité de devenir vraiment peintre et prendre le temps de cheminer dans l'histoire de l'art.

Maïten Bouisset

Qu'entendez-vous par cheminer dans l'histoire de l'art. S'agit-il de l'art américain de ces dernières années, en partculier la Bad Painting, dont vous sembliez assez proche, ou au contraire de l'art européen du premier quart de siècle, comme paraissant l'indiquer les tableaux réalisés à New York?

Thierry Cheverney

En arrivant aux États-Unis, j'ai senti très vite que je n'avais que peu d'affinités avec cette génération d'artistes; la mienne, qui à New York comme à Paris se basait sur une iconographie plutôt issue de la bande dessinée. Je ne refuse absolument pas le dynamisme, la pésence réelle sur la scène artistique, et le pouvoir expressif de ce que l'on appelle ici ou ailleurs Figuration libre ou Bad Painting. Je dis seulement qu'en ce qui me concerne, un tel propos m'a paru à long terme inefficace à véhiculer mes préoccupations de peintre. Ma dérive autour de l'histoire s'est située dans un tout autre contexte et ce qui m'a sollicité ce sont certaines des grandes options de la tradition moderne européenne. Je crois que sous certains aspects le pensée post-moderniste a su, en procédant par élimination, puiser là quelques grandes idées et les adapter aux problèmes spécifiques du monde actuel.

Maïten Bouisset

Quand vous dites post-  modernisme, vous parlez de retour aux valeurs du passé ou au contraire d'une réponse novatrice possible à l'état de crise de la pensée occidentale?

Thierry Cheverney

Les fins de siècle sont le moment de la mise en perspective des données passées. Nouq assistons à l'aube de l'an 2000 à une prise de conscience de la responsabilité de l'individu face au pouvoir. Le pouvoir bascule et l'homme se retrouve face à son destin. Il se crée par conséquent une notion d'urgence. La sauvegarde de l'humanité dépend maintenant d'elle-même. Nous avançons vers l'autorégulation, l'autodeterminisme. Le pouvoir perd de sa crédibilité, mute, et l'humanité tend à prendre conscience du pouvoir formidable qui l'anime, alis pour citer Hegel: "Rien ne doit être accepté qui ne possède le caractère de nécessité, ce qui veut dire que tout doit y avoir la valeur d'un résultat". L'humanité peut donc enfin faire ressortir la nécessité de son autorégulation, il faut pour cela utiliser son imagination, et c'est là que je pense que certaines grandes idées liées à la pensée "moderne" peuvent jouer comme éléments novateurs. je voudrais également citer une phrase issue d'un tract du mouvement Phase, paru le 15 juin 1968: "L'imagination se moque du pouvoir, car elle a tous les pouvoirs".

Maïten Bouisset

Vos tableaux récents semblent affirmer une organisation rigoureuse de l'espace, un travail minitieux autour de la peinture qui frise l'obsessionne et un propos qui oscille entre constructivisme et surréalisme. Comment analysez-vous ce changemant radical au niveau des formes?

Thierry Cheverney

Il s'agissait dans mes oeuvres de 1984 jusqu'à 1985 d'approcher un paysage mental non figuratif, en étant passé par le paysage figuratif en 1983 qui fut pour moi l'année d'une exploration de l'espace et de la perspective en utilisant des références résolument surréalistes. Progressivement, la ligne d'orizon a laissé place au simple champ coloré qui symbolisait alors l'espace intérieur métaphysique avec une organisation modulaire de signes nucléiques, biologiques ou génétiques. Récemment, j'ai rencontré à Paris un artiste, Stéphane Jaspert, qui travaille autour des images de synthèse par l'intermédiaire de l'ordinateur. Nous nous sommes aperçus que nous étions préoccupés par une problématique commune: la vitesse et ses moyens de représentation. C'est un travail en peinture sur toile, la vitesse étant signifiée par des lignes fuyantes, vectorielles, droites ou courbes, toujours dans l'organisation rigoureuse que régit le nombre d'or. Réduites à certaines couleurs de base, ces lignes suggèrent et insistent de façon manifeste sur la pureté et la dureté de la vitesse. C'est un travail conceptuel dans la représentation mentale de l'idée de vitesse, et symboliste dans la mesure ou la vitesse est représenté par un signe. Il nous a puru crutial d'aborder le phénomène "dromologique", nous démarquant par rapport à la stagnation de certaines structures qui ralentissent le processus d'échange et de communication pour une accélération des modes de pensée, d'action et de prises de décision. Nous tentons d'appréhender ainsi une nouvelle conception du temps et de l'espace où la vitesse devient circulation libératrice démobilisatrice. La vitesse rétrécit le temps, rapproche les extrémités. A ce sujet je voudrais citer Paul Virilio: "la violence de la vitesse est devenue à la fois le lieu et la loie, le destin et destination du monde".

Maïten Bouisset

Si cette exploration de l'espace intérieur métaphysique et ce travail d'ordre conceptuel semble tout à fait nouveau, est-ce que vous êtes d'accord pour accepter l'idée de la permanence de l'angoisse et du climat de catastrophe imminente que l'on trouvait dans vos oeuvres d'hier et que l'on trouve encore aujourd'hui?

Thierry Cheverney

C'est parfaitement exact, tout en étant moins évident.Je ne peux pas échaper au temps et au monde qui me concerne. Même si dans mes tableaux on peut penser, à première vue, qu'il y a dans l'organisation de l'espace et des formes un sentiment d'armonie. Ces dernières années ont été pour l'humanité particulièrement affligeantes, et c'est la gravité des évènements du quotidien que je me suis éfforcé de retranscrire dans mes tableaux. je ne pense pas que cette vision trahisse un esprit pessimiste. Si c'était vraiment le cas, je crois que mes tableaux seraient insuportables à regarder. Je montre seulement la réalité comme le font les médias, avec une interprétation picturale subjective. On ne peut pas fermer les yeux devant la crise dont nous parlions tout à l'heure justement parce qu'elle contribue à la mutation de l'humanité. Elle nous parle et nous confronte durement. Elle est notre mirroir. Elle est cruelle mais juste, car elle nous fait payer le prix laissé au hasard et à l'improvisation.

Maïten Bouisset

Vous avez évoqué l'influence marquante d'une certaine peinture européenne, j'aimerais que vous précisiez la part de l'influence du Dada et du Surréalisme en particulier qui semble très importante tant du point de vue de votre comportement que de votre pratique. D'autre part, dans ce retour à vos racines que vous effectuez actuellement, puisque vous avez décidé de vivre de nouveau à Paris, et compte tenu des exigences qui sont maintenant les votres, pouvez-vous dire où va votre intérêt?

Thierry Cheverney

Dans ctte période new-yorkaise, nous l'avons évoqué, j'ai regardé la peinture constructiviste et métaphysique, le Suprématisme et évidemment le surréalisme. J'ai en particulier été très impressionné par l'oeuvre de Max Ernst et celle de Francis Picabia. Plus que l'esthétique, c'est leur comportement ironique qui me fascine, leur volonté de se mouvoir librement dans l'histoire, cet apport de l'acte Dada qui ne prétend rien, qui ne propose rien et qui ne se réclame de rien. Plus près de nous, je regarde l'oeuvre de Gerhard Richter et celle de Sigmar Polke. J'aime m'offrir le luxe du changement, de la rupture, et surtout éviter l'ennui de la répétition. En revenant à paris, j'ai été frappé parcertaines peintures de Pierre Soulages et de Fernand Léger, qui dépassent l'idée que j'ai pu me faire d'une certaine esthétique modrniste de la peinture. L'histoire est intemporelle et c'est Tristan Tzara qui écrivait dans son manifeste Dada en 1918: "j'aime une oeuvre ancienne pour sa nouveauté".

Maïten Bouisset

Pour conclure, comment voyez-vous votre avenir?

Thierry Cheverney

Comme j'ai le goût des citations pour leur implication affirmative et souvent définitive,mais aussi prophétique, et pour répondre à votre question, j'ai envie de citer le chanteur James Brown: "Peace, love, unity and having fun!", et Nitzsche: "Peut-ëtre que si rien de ce qui exite aujourd'hui n'a d'avenir, ce sera encore notre rire qui aura un avenir".







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