DU PACTE DÉMOCRATORIAL À LA DÉMOCRATIE SÉCURITAIRE
Les Nouvelles Libertaires
N° 78 (Automne 1999)
Quels espaces
corrigés de la structure sociale mondiale ont-ils taillé
au burin et à la pacification sociale, pour exercer ce
glissement du monde des deux après guerres mondiales vers le
consensus totalitaire dans lequel nos vies et celles de nos enfants
vont se trouver asservies et génétiquement
tripotées ?
C'est de l'avenir du genre humain qu'il s'agit, biologiquement et
philosophiquement parlant. Il s'agit de réagir. La
compréhension la plus claire possible des nouveaux
mécanismes d'aliénation (et de leur mise en place) y est
nécessaire. L'exposé de Thierry Cheverney y contribue et
justifie l'exigence de rigueur que doit garder la critique comme la
prospective acrates.
Joël Gochot
FIN DES CLIVAGES
L'ancienne
opposition des conceptions antagonistes du pouvoir
(prolétariat-bourgeoisie, gauche-droite) a laissé la
place à une nouvelle forme de gestion du pouvoir. Le conflit
social qui fut à l'origine de ces luttes s'est dissout dans un
dispositif aujourd'hui avéré par le principe de
cohabitation, consensus par lequel toute notion de lutte est
neutralisée dans cet ultimatum, méthode d'intégration
et de pacification de masse. Le rôle politique de l'individu
est annihilé par des impostures telles que la "troisième
voie", le délire libéral-libertaire, ou encore des
partis qui entretiennent l'ambiguïté comme le mouvement
des citoyens. Cet apparent métissage des options cache les
extraordinaires dérives latitudinaires que les programmes
politiques présentent aux jugements des détenteurs de
cartes électorales. Après avoir connu les comités
de salut public en leur temps, les alternances et maintenant les
cohabitations, nouvelle norme, pacte démocratorial intemporel,
qui s'étend au corps social dans son ensemble comme une
religion, cette norme nous intime l'adhésion et cache par le
leurre pluraliste une vocation vers le parti unique, plus exactement
vers une conception unique de l'engagement des élus du peuple.
Ainsi est donné au subordonné l'illusion d'être
dans le débat démocratique, dans les choix décisifs
du partage du pouvoir et de la participation aux grandes directions
ou options sociales, politiques et économiques. C'est ainsi
que le syndicalisme, encore sensé défendre les intérêts
d'une catégorie sociale fragile par la nature même d'une
culture de l'inégalité et de l'injustice a pris la
forme et le nom de partenariat social, traduction du négationisme
de plus d'un siècle de lutte gommée au fil des
négociations des modalités de sa servitude. Il en va
souvent de même dans le monde associatif, monde dans lequel les
revendications sont fragmentaires ou corporatistes et répondent
toujours du dialogue avec le pouvoir, de la recherche du consensus ou
d'un réflexe politicien, mais rarement d'une observation
politique liée aux causes de la présence associative
sur la scène du débat.
Cette
approche, nécessité d'intégration, a une origine
idéologique très marqué. Elle ne tient pas à
une tendance historique issue d'un inconscient collectif en mal de
synthèse politique débouchant sur une plus grande
humanisation de la société, sur la nécessité
du discours contradictoire à des fins d'humanisation et de
résolution, mais à une forme d'œcuménisme.
Cette philosophie répond de la volonté de créer
toutes les confusions possibles dans l'intelligence du discours afin
que celui-ci ne soit plus compris que comme une absurdité
dialectique faite d'irrationnel, dont cette idée de "troisième
voie" ou l'option géniale libérale-libertaire
constitueraient les paradigmes de masse les mieux adaptés mais
dont le versant trivial et caché n'est autre que la tendance
rouge-brune, propre au MDC, pour
ne prendre que cet exemple. Pourquoi le discours de la norme
a-t-il autant à cœur de banaliser ces formes de syncrétisme
idéologique? Simplement pour créer le consensus autour
d'idées venant de sphères diverses mais toujours
normatives, opposées formellement mais ne remettant pas en
question le discours de la norme, afin de dissoudre le politique dans
une rhétorique démocratique rudimentaire et donner un
souffle nouveau à un vieux fond réactionnaire,
populiste et totalitaire. Cela permet d'alimenter le débat
démocratique d'irrationalité et de contresens afin de
troubler l'intelligence collective et de semer la confusion dans la
compréhension de l'organisation démocratique. Je
n'essaie pas par là de prendre la défense de la
structure démocratique, mais simplement de pointer que la
démocratie permet cela.
LE CONSENSUS
Antérieurement
à cette fin des clivages, les rapports sociaux étaient
donc admis comme un bras de fer opposant des intérêts
divergeant qui s'appuyaient sur une injustice sociale endémique,
dont la réalité, qui prédominait jusqu'à
une époque récente s'extériorisait dans la
conscience et la lutte de classe. La confrontation entre les élites
et les producteurs a été neutralisée par le
consensus qui a permis cette fin des clivages et engendré une
homogénéisation comportementale à l'égard
des options sociales. Le consensus est vécu par les élites
comme une détente dans la relation aux subordonnés,
comme la réalisation de certains termes de la "loi
naturelle" ou chacun garde la place qu'il lui a été
assignée par ses compétences générales et
l'évolution de cette place assurée par ses
prédispositions à l'adhésion au consensus. Nous
sommes là dans la pédagogie communautaire moderniste de
l'archaïque concept de caste où chacun a le devoir social
d'accepter naturellement son sort et son statut dès lors qu'il
a atteint les limites de ses aptitudes et de ses capacités à
la collaboration pour discuter librement des grandes options sans
pour autant remettre en cause son statut de subordonné, ni le
discours dominant, pas plus que les rapports de forces inégaux.
Il est a contrario contre nature de remettre en doute cet axiome et
considéré comme pathologique de le mal vivre.
Ce
consensus a donné lieu à trois castes sociales: ceux
d'abord que ses effets n'affectent pas directement, qui ont encore un
rôle opportun à jouer et dont ils peuvent tirer un
bénéfice quelconque, ceux qui ont été
éliminés de toutes participations et de toutes
rémunérations, les exclus du système de
production, puis ceux, maintenant majoritaires qui passent
incessamment d'un statut à l'autre, les précaires, les
flexibles, les intermittents, les intérimaires, etc. Quelle
que soit le statut, il n'est pas de bon ton de remettre en question
ces divisions.
DU CONSENSUS À LA DISCORDE SOCIALE
Du
consensus est né une forme perverse des antagonismes sociaux
où la lutte se place sur le terrain de la discorde
interpersonnelle et où chacun se positionne dans la structure
comme entité individuelle de masse et l'ennemi possible de
l'autre avec le sentiment d'avoir des intérêts
personnels à défendre, alors qu'il s'agit de la défense
d'une idéologie, celle de la servitude bien admise de tous les
individus en position d'assujettissement. Cette typologie des
rapports sociaux a rendu totalement caduque la confrontation de
classe dominant-dominé au plus grand bénéfice
des élites pour ouvrir la voie à un dérèglement
des relations humaines qui se rapproche du concept de guerre de tous
contre tous et qui consiste au développement généralisé
d'un fort ressentiment vis à vis de l'autre, de son alter
ego, où ce qui prédomine est le refus de voir la
part de soi-même dans l'autre, de ne voir dans l'autre que
menace et par conséquent de rejeter tout ce qui unit pour
exploiter tout ce qui peut engendrer la discorde. Cette évolution
ne concerne plus tant le groupe que l'individu, solipsisme par lequel
tout étranger à soi est potentiellement l'ennemi. Cela
se traduit par un sentiment partagé de défiance à
l'égard de tous et en particulier à l'égard de
ceux qui se trouvent en rupture avec le système de production.
De plus, et d'une manière générale, tout est
pensé pour que l'ennemi ne soit pas pressenti comme faisant
partie de l'élite, rendue extérieure à
l'humanité, abstraite, mythique ou archétypale,
parfaite dans son essence, quasi extra-terrestre, mais comme le plus
proche socialement, le plus reconnaissable. On voit là une
rupture radicale avec l'ancienne notion de lutte de classe. Il en
résulte naturellement une forme de rapports sociaux qui nous
ramènent à l'époque du Far-West: cette
guerre de tous contre tous, la suspicion généralisée,
une relation humaine comprise entre haine et mépris de l'autre
ou obséquiosité et avilissement. Une telle situation
n'est pas dans la nature de l'intelligence humaine. La finalité
de l'espèce humaine n'a aucune réalité dans
l'évolution de telles turpitudes. Aussi, une dérive
générale des sentiments humains, orchestrée par
les élites au pouvoir ne peut avoir de réalité
sur un long terme. Ceux qui détiennent les commandes du
pouvoir le savent et redoutent les retours de flammes, qui, s'ils n'y
prenaient gare, auraient pour eux des conséquences sans
précédent, à l'échelle de cette
entreprise de destruction de l'humanité et du vivant qui a
atteint aujourd'hui la planète dans son ensemble. Ils sont
dans l'obligation de prévoir des conditions de protection à
la mesure de la situation ainsi engendrée. La domination et
l'exploitation, dépendent des techniques mises en œuvre pour
la survie de ce mode de pensée et de civilisation. C'est ainsi
que le préalable se construit pour eux dans l'anéantissement
de tout sens de la justice et dans une course effrénée
aux sciences militaro-industrielles, puis dans l'introduction chez
l'humain d'une notion qui devrait, aujourd'hui, plus que jamais, lui
être étrangère, la survie, corroborée par
ce concept de guerre de tous contre tous: la vie sur terre n'est
possible que par la survie et la lutte qui en découle. Pour
ceux qui ont engendré cela, pour le moment, on peut dire que
ça fonctionne terriblement bien.
DE L'AGNOSIE À L'APHASIE
Agnosie,
(selon la définition du petit Robert): ignorance, incapacité
de reconnaître ce qui est perçu.
Aphasie,
(de même, selon la définition du petit Robert): perte
totale ou partielle de la fonction de la parole.
Les
raisons non avouées, parce qu'inavouables de ce pacte
démocratorial, universalisation d'un mode de fonctionnement
unique, l'adhésion de tous à un paradigme loin de
fonctionner pour tous, prend tout son sens quand on le réduit
à ce qu'il est réellement, une psychologie de masse,
rendue à sa plus simple expression, pathologique, celle de la
jouissance généralisée dans le pathos et dans
l'affect, une exacerbation du saurien en l'homme dans ses rapports
sociaux. De ce fait, il est loisible d'universaliser une quantité
de ruses propres à conforter dans sa démarche le projet
des élites afin qu'elles maintiennent leurs prérogatives
et leurs privilèges, afin qu'aucune prise de conscience
collective de dernière instance ne puisse voir le jour. Quant
aux prises de consciences individuelles, quelles poids peuvent-elles
avoir dans une psychologie de masse et dans un monde atomisé ?
Dans cette optique, tout ce qui est perçu par tous ceux qui
doivent être convaincus par le pacte démocratorial ne
doit pas être reconnu dans sa réalité, dans sa
vérité, avec toutes les conséquences sociales
que cette perception juste pourrait avoir. Il est impératif
que cette sensation de masse, que cette fausse conscience soit
maintenue dans l'ignorance de toute conscience désaliénante.
Et nous glissons d'une psychologie de masse vers une pathologie de
masse. Cela constitue le terreau du pacte démocratorial et de
la société sécuritaire qui s'impose à
nous. Mais, il ne s'agit pas d'une société réellement
sécuritaire, puisque la guerre de tous contre tous contredit
radicalement toute notion de sécurité, de pouvoir
exiger de vivre et d'exister, avec ses différences et ses
affirmations, en toute sécurité. Il s'agit plus
précisément de sûreté, de protectionnisme.
Il s'agit d'assurer la protection des privilèges confrontés
aux exigences de justice sociale de tous les habitants de la planète,
quand elles se manifestent. Le pacte démocratorial, dans sa
politique d'agnosie généralisée demande que l'on
confonde sécurité avec la sûreté de son
bon droit et qu'il ne soit jamais altéré. Il s'agit de
noyer dans une dialectique de masse toutes les voix qui manifestent
leur colère, de recréer ce que Wilhelm Reich appelait
la structure individuelle de masse. Il s'agit de canaliser la colère
de chacun afin qu'elle n'atteigne pas les constructions complexes du
pouvoir. Il est par conséquent nécessaire que la
perception soit rendue impossible, cela se fait paradoxalement par un
double travail de massification et de fragmentation. Tous les petits
fragments de colère individuelle sont subtilement retournés
les uns contre les autres, permettant ainsi de libérer les
conditions d'homogénéisation de masse, de maintenir la
masse dans un état latent de violence diffuse et tous azimuts,
dans lequel le ressentiment se retourne contre l'autre, donc contre
soi-même et non contre les architectes de la mise en œuvre
d'une telle situation sociale. L'outil rouge-brun, confusioniste,
donc outil de désunion, la troisième voie, démagogique,
donc outil de ralliement, sont les deux armes de la même
idéologie, celle de néantiser toute rationalité,
de lui substituer une fantasmagorie permettant d'éterniser les
masses dans l'idée de leur servitude et de leur peur.
Une fois
l'agnosie rendue possible, nous savons maintenant que la main mise
sur tous les médias et les moyens de communication a été
une méthode éprouvée à cette fin, il
reste à priver l'humanité de toute possession et
expression de sa parole, de son désir, de sa créativité,
de tout ce qu'elle est sensée exprimer en tant qu'humanité
pensante et agissante. Pour cela, le même travail de
massification est mis en œuvre. Le matraquage de la même
méthode se fait à toutes les sauces, à tous les
goûts. Il est tel que personne n'est plus capable de créer
ses propres moyens d'existence, son principe de réalité,
tel l'enfant gavé de jouets en plastique multicolore, rendu
incapable d'appréhender ses potentiels de création et
fabriquer ses propres objets d'expressions, certes faits de bric et
de broc, de bouts de ficelles, mais conçus et réalisés
par lui. Une grande énergie est dépensée pour
que l'enfant ne sache pas créer de ses mains ni associer ses
actes à la construction de son intelligence et de son libre
arbitre. Le désir de l'enfant est brutalement éradiqué
dans la répétition des mêmes codes, que cela soit
l'aliénation de sa motricité dans l'acte incessamment
répété initié par le jouet de masse, ou
la violence et les rapports de forces extrêmes tels qu'ils lui
sont présentés dans les dessins animés. Tout
cela nous démontre à quel point la privation des moyens
d'expression propres constitue une tendance tenace afin de museler
l'individu et le réduire à l'état de bête
de somme ou de chien de garde.
L'INANITÉ DU DÉBAT PUBLIC
Pour
entériner cette entreprise de destruction du corps social, les
élites nous présentent le débat public comme
dérisoire, ou pire, fort de leur suprématie, comme
illusoire. Pourquoi chercher à exprimer votre propre
créativité, nous disent-ils, votre propre capacité
de réflexion, votre vision sociale ainsi que la mise en œuvre
de ses prémices et d'en débattre, puisque nous tenons
tout et vous ne serez pas, par la nature même de notre position
de domination, en mesure de construire votre réalité!
Vous êtes condamnés à vous soumettre à
notre typologie, qui est celle de vous immobiliser, de vous évaluer
propriété de notre toute puissance. Toute la base des
discours politiques et intellectuels de masse est ainsi résumée,
pour peu que l'on y prête attention. La fin des clivages, les
alliances circonstancielles contre nature, les reniements puis les
nouvelles coalitions ou cohabitations ne cachent plus à quel
point le débat public est faisandé par une constante
équation: assimiler le citoyen au polichinelle auquel il faut
vendre le brouet de sa servitude, de son silence et de son
avilissement. Cela peut se faire d'une manière cynique ou très
elliptique. La logique est celle du clientélisme, se
débrouiller par n'importe quel moyen pour générer
une adhésion de masse vers toutes les options qui vont
conforter la domination et l'exploitation dans sa durabilité.
Peu importe le coup social d'une telle démarche, puisque,
forte de sa puissance, cette conception du monde est en mesure de
neutraliser par ses procédés létaux, les
ambitions à instaurer un sens de la justice au service de
l'humanité. Les dépositaires des différentes
formes du pouvoir ont déjà eu recours, dans l'histoire,
aux massacres de masse pour garantir le maintien et l'expansion de
leur vision du monde. Les papons et les pinochets sont
toujours là, par centaines, tapis dans l'ombre et prêts
à bondir. Bien que la modernité exhorte à des
solutions moins barbares, il va de soi que le recours à de
telles méthodes n'est jamais exclus, nous en sommes
quotidiennement les témoins ahuris. Mais comme il vaut mieux
prévenir que guérir, démagogie oblige, nous
assistons, médusés à une mise sous tutelle
policière intégrale et généralisée
de la société civile. Partout où une brèche
s'ouvre qui permet de contrôler le corps social, individu par
individu, groupe par groupe, afin de le paralyser, cela se fait avec
une rapidité et une habileté fulgurantes.
DE L'INSÉCURITÉ AU TOUT SÉCURITAIRE
Le tout
sécuritaire, comme nous l'avons vu, n'a aucune rationalité
dans l'état existant des choses. Il sert tout au plus de
miroir aux alouettes ou d'appeau régulateur de survie. Il
aurait un sens si tous pouvaient vivre en sécurité, ce
qui signifierait incontestablement la fin de notre système
d'exploitation et de survie et donc celle des élites et des
diverses formes du pouvoir. Le tout sécuritaire désigne
donc l'assurance, la garantie pour ce système de pouvoir créer
toutes les conditions appropriées afin que celui-ci ne
rencontre aucune contrainte directe ou indirecte face au
développement de ses propres codes. Le tout sécuritaire,
associé aux politiques de déréglementation
(suppression des lois défavorables au développement des
privilèges des classes dominantes) et de globalisation (de ces
privilèges) nous conduit tout droit vers une société
barbare dont certains Etats nous donnent un avant-goût.
Utiliser
la peur de l'autre comme facteur d'insécurité est un
préalable à la construction de cette société
barbare dans laquelle la brutalité devient la valeur phare du
savoir-vivre. Dans une société barbare le tout
sécuritaire n'est pas envisagé pour fraterniser en
supprimant les inégalités, mais pour garantir la sûreté
de l'état existant des choses, des privilèges et de
leurs détenteurs.
Mais pour préserver
au mieux cette société barbare, le laisser aller,
contrairement à ce que l'on pourrait penser, la
déréglementation totale des mœurs ne constitue pas la
meilleure des solutions. Cela signifierait l'ouverture au sens
commun, à la conscience désaliénante et à
celle des interdits fondamentaux comme régulateurs de vie et
d'éthique sociale. Une morale du renoncement aux principes
humains fondamentaux doit être au contraire développée
et ancrée dans les habitudes populaires, comme l'autogestion
de la répression et de l'aliénation, comme le rapport
de force permanent institué en morale, l'injustice,
l'affaiblissement de toute prise de conscience désaliénante,
dans l'institution de conditions de vie catastrophiques, dans des
conditions sanitaires, écologiques, sociales, économiques,
intellectuelles et professionnelles dénuées de toute
dignité et de tout entendement, dans l'attirance vers le
populisme et la bonne morale sectaire, afin de créer désarroi,
atomisation et enfin, favoriser la résurgence de l'irrationnel
mystique et de cette loi naturelle tant vantée par les
organisations religieuses fanatiques. Tout cela n'est pas le
laisser-aller. Tout cela est le fruit d'une politique de
déstabilisation du corps social. Tout cela est orchestré
pour que justement, aucune chance ne puisse être donnée
au laisser aller. Le laisser aller responsabilise, libère,
donne du sens, du sens commun. Le sens commun est organisateur. Les
enfants entre eux, commencent très tôt à créer
leurs propres règles dans la relation du jeu social. Il le
font parce que c'est de la nature humaine de s'organiser socialement.
Les enfants le font merveilleusement dans le laisser-aller. Ce à
quoi nous assistons aujourd'hui est une fantastique campagne
d'anéantissement de tout sens commun avec les complicités
des institutions religieuses (Rwanda, Algérie pour ne citer
qu'eux), afin que cette guerre de tous contre tous se généralise
pendant qu'une minorité de quelques dizaines de millions
d'individus puissent se repaître scandaleusement d'une telle
situation. Ces gens là jouent un jeu dangereux et sans
précédent, puisqu'il affecte aujourd'hui la totalité
des habitants de cette planète.
Il va de soi que la
barbarie n'est pas une nouveauté des classes dirigeantes pour
s'asseoir sur l'humanité. On peut dire qu'il s'agit là
d'une constante dans la logique d'écrasement de l'humanité.
Ce qu'il est donc question de fabriquer, par la panique extrême,
par la barbarie, par la désintégration de tous les
repères sociaux, c'est cet état de lassitude et
d'instabilité généralisées qui nous
orientent vers la passivité face à ce qui nous anéantie
collectivement, ainsi que l'autodéfense face à toutes
les petites contrariétés quotidiennes engendrées
par ses semblables, qui nous minent individuellement la vie. Ce qu'il
est question de fabriquer, c'est l'autogestion de l'aliénation
et de la survie, le désarroi universel et le rapport de force
permanent. Telle est la finalité perverse de notre système
qui nous dit: cette réalité est la réalité,
il n'y en a pas d'autre possible. Effacez de votre histoire jusqu'à
la mémoire même d'un monde à l'échelle
humaine. La nature nous montre la voie, c'est en vous entre-dévorant
que votre survie sera garantie, pendant que nous, les gens civilisés,
cultivés, éclairés, riches de tous les
privilèges, nous buvons votre sang dans l'euphorie et la
jouissance. Notre orgasme est à la mesure de votre effroi.
Nous vivons dans un monde de monstres et dans ce monde là,
nous devons nous comporter comme des monstres. Cela n'est pas le
laisser aller, cela est très précisément
codifié, organisé et maintenu par polices, milices et
armées afin que l'humanité périsse, de faim, de
maladie et de dénuement. Le laisser aller sous entendrait que
l'humanité puisse éventuellement s'organiser, créer
un rapport de force égal afin de se libérer de cette
malédiction que fait peser sur nous cette catégorie
sociale, cette élite qui dépouille le monde.
DE LA CONSOLIDATION DES PRIVILÈGES À LA DESTRUCTION DU VIVANT
DU RAPPORT DE FORCE INÉGAL COMME DOCTRINE, OU DEUXIÈME POUSSÉE FASCISTE DE L'HISTOIRE DU CAPITALISME
Tout ce
que nous venons de décrire, la mise en œuvre par les pouvoirs
publiques et privés de paradigmes barbares comme relevant de
l'organisation sociale organique porte un nom. C'est le fascisme. Le
projet fasciste des classes dominantes n'a pas été
éliminé après la fin de la deuxième
guerre mondiale. Il a seulement été mis en veilleuse
afin de lui restituer ses capacités à se reconstituer.
En France, nous devons au talent exceptionnel de Mitterrand
l'initiative de la résurgence de cette deuxième
poussée, avec la différence qu'il n'est plus
localisable comme il le fut dans sa genèse, dans sa première
phase historique organisée, mis à part l'éphémère
caricature lepéniste ayant servi de repoussoir et n'ayant plus
court aujourd'hui. La mission de Le Pen est terminée. Elle a
permis au fascisme réel et transnational, en le couvrant de
ses vociférations et de ses élucubrations, de
s'introduire dans la démocratie. La nouveauté réside
dans le fait qu'il n'est plus aujourd'hui un programme revendiqué
publiquement et officiellement par les dirigeants. Il est
parfaitement diffus, disparate et sous-jacent, en clair privatisé.
Le fascisme contemporain agit comme une taupe, de la même
manière qu'il a été réintroduit, par une
taupe. On ne refait pas la même erreur deux fois et s'il a
échoué dans sa bruyante genèse, partidaire,
étatique et institutionnelle, on a aujourd'hui le sentiment
qu'il s'implante silencieusement, sereinement et parfaitement assisté
techniquement. Le Pen a stigmatisé le fascisme historique, il
l'a concentré dans la figure séculaire du mythe du chef
(du führer), afin que le fascisme diffus et privé
(anonyme) s'implante plus aisément. Le Pen a-t-il consciemment
joué ce rôle? Savait-il qu'il n'allait jamais être
le nouveau führer? Savait-il que son combat local
couvrait la renaissance d'une tyrannie fasciste anonyme beaucoup plus
large, mondialisée, que celle qu'il pouvait incarner,
archaïque et référentielle ?
Le
fascisme contemporain ne se nome plus NSDAP. Il n'est plus accompagné
de sa figure emblématique et tutélaire unique. Il se
nome d'ors et déjà OCDE, FMI, AMI, OTAN, CE, ALENA,
OMC, Prion, Becquerel, CAC, Sciento, Web, G7+1, Davos, etc.…
Historiquement,
le fascisme a fait son lit lors de la crise la plus grave de
l'histoire du capitalisme, de 1929 à 1932. Aujourd'hui, il n'y
a pas, à proprement parler de crise du capitalisme, ou plutôt,
le capitalisme s'est donné les moyens de maîtriser ses
multiples et successives crises. Il y a, par contre, développement
d'une crise sociale sans précédent historique,
puisqu'elle a atteint l'humanité dans son ensemble, du fait du
capitalisme mondialisé et triomphant. Mais cette phase
triomphale du capitalisme mondialisé cache un obscurcissement
de sa finalité, qui se caractérise par la pratique
nécessairement opportune du fascisme, hic et nunc, mais
intrinsèque à son fonctionnement afin qu'il puisse
aujourd'hui faire face à cette crise sociale. Le capitalisme
concentrationnaire appelle une forme diffuse du fascisme.
Historiquement, le capitalisme diffus appelait une forme
concentrationnaire du fascisme. Le capitalisme est en passe de
révéler une crise bien plus grave dans son histoire que
celle de 1929, structurelle, qui est la mise à jour inexorable
de sa véritable nature, de sa nature eugéniste. Cela
constitue la principale nouveauté du capitalisme que les
conditions historiques, contingences aidant, avaient pu éclipser
dans la première poussée du fascisme. Associé à
cette crise sociale qu'il a engendré, le capitalisme montre
les limites de ses capacités humanistes ainsi que la réalité
de ses motifs. On peut donc expliquer cette deuxième poussée
du fascisme par les prédispositions concentrationnaires et
coercitives naturelles du capitalisme. Cette résurgence
fasciste ne peut pas être analogue à sa phase
précédente, d'abord parce qu'elle est mondialisée,
unique et diffuse, n'ayant plus en face d'elle la justification du
péril rouge. Le fascisme militant, comme doctrine politique
n'est plus de coutume. Il faut donc d'autres moyens: l'infiltration
par d'autres artifices que celui, politique et partidaire face à
un ennemi à combattre. Comme il ne peut plus avoir de rôle
politique à jouer, il en est fait un comportementalisme induit
culturellement, insidieusement, un comportement de masse apolitique,
un tic comportemental, une norme sociale, une psychologie, une
manière d'être et de se comporter, en un mot, un état
d'âme. Cette approche est celle réelle, du fascisme
mature et privatisé. Son échec historique tient à
une erreur de mise en œuvre et d'appréciation, à une
trop grande confiance en lui-même et dans les institutions
d'Etat, dans la caricature eugéniste de sa mise en œuvre.
Cette méprise dans la première tentative fasciste, une
fois corrigée, il lui est possible de s'infiltrer civilement,
démocratiquement dans la société. Il ne lui est
plus nécessaire de justifier sa philosophie par la mise en
œuvre d'un programme et la défense d'une doctrine. Il
s'autofabrique au jour le jour dans l'inconscient collectif.
La
résurrection fasciste que nous vivons actuellement donne
l'impression, faute de programme, qu'il n'est pas délibérément
mis en œuvre, mais qu'il est une fatalité sociale née
d'une décadence de certaines valeurs, d'une déviation
sociale. En clair, il nous est dit que cette nouvelle montée
du fascisme n'est que l'œuvre du corps social lui-même, de la
masse se crispant sur ses propres angoisses et ses pertes de repères,
face à une prodigieuse accélération du monde.
Comment accepter de porter une telle responsabilité alors
qu'il s'agit, et cela commence à se savoir, d'une machination
des élites elles-mêmes ? La perfidie voudrait que cette
peste n'émane que du corps social. Le corps social est dans
son ensemble la victime de cette mise en œuvre, quand bien même
il en eût été le pourvoyeur. Malgré la
responsabilité du corps social dans cette dérive
historique, du fait de son manque de conscience désaliénante
et de son laxisme, il est l'objet d'une manipulation le vouant à
sa perte. Certains y trouvent bien entendu leur compte, d'autres y
croient et pensent qu'il s'agit d'un développement naturel et
légitime de la nature humaine, mais globalement, nous sommes
victimes de cette deuxième poussée fasciste. Nous
sommes victimes de cette crispation endémique qui anéantie
toute humanité. Qui n'a pas eu, au moins une fois dans sa vie,
un réflexe populiste ? Nous sommes victimes de notre histoire,
mais ne sommes nous pas responsables de notre devenir ?
Le
fascisme n'est pas une idéologie, il n'est que le
développement assisté des tendances les plus
avilissantes de la nature humaine. Le fascisme c'est la culture de
l'oubli de toute dignité, de la perte de toute humanité
et de l'universalisation de la démoralisation. On ne peut plus
décemment nous dire que le fascisme est une doctrine
politique, une guerre mondiale et cinquante millions de morts étant
passés par là. On ne peut plus nous dire qu'il est une
culture, c'est à dire une organisation sociale, alors on nous
dit que c'est le corps social, qui est le terreau d'un tel
dérèglement. Cela se voit particulièrement bien
dans le discours des intellectuels collabo qui enfoncent le clou de
la responsabilité, dans le clientélisme, domaine dans
lequel on nous impose un mode de consommation et de fonctionnement en
nous disant que nous en sommes les pourvoyeurs et les demandeurs. On
oriente la masse vers un produit en la privant de toute autre
perspective par universalisation des mêmes codes, par privation
de toute autre option et par une multitude de discours de
compensation. On nous rend systématiquement responsables et
initiateurs de ce qui nous advient afin de nous laisser croire que
les valeurs réactionnaires de contrôle et de gestion
étaient finalement les meilleures et qu'il serait peut-être
salutaire de les faire revivre. On se moque de nous, on nous fait
porter la responsabilité du populisme alors qu'il est institué
scientifiquement par ceux qui en ont la nostalgie, par ceux qui
tirent un bénéfice considérable d'une telle
situation, le bénéfice du pouvoir et du lucre. Il est
tel qu'il nécessite encore la prolifération
d'institutions appropriées comme la police, l'armée et
ses guerres incessantes, les déviances institutionnelles comme
la répression, la violence de l'Etat, la paupérisation,
la résurgence sectaire et religieuse, l'empoisonnement de la
chaîne alimentaire et de l'air que nous respirons. On instaure
un climat de terreur chronique et tout cela, nous dit-on pour
préserver la société et ses valeurs
démocratiques. Mais cette fois, cela se fait sournoisement.
Seules les conséquences se font entendre, mais ces
conséquences ne sont jamais associées à leurs
causes réelles, la destruction en masse du corps social par un
groupe de personnes portant patronymes. Nous sommes beaucoup plus
nombreux sur cette terre que le capitalisme ne peut faire vivre,
aussi les plus faibles d'entre nous, les moins aguerris et les moins
coopératifs doivent périr. Nous vivons une tragédie
humaine à l'échelle planétaire parce que nous ne
voyons pas ce qui est en train de se produire. En cela, nous sommes
fautifs et nous devrons bien un jour, le plus tôt sera le
mieux, en saisir la portée.
Une
première victoire pour l'humanité serait de reconnaître
l'essence naturellement fasciste du capitalisme afin de prendre
réellement conscience que nous vivons effectivement une
deuxième poussée fasciste de l'histoire du capitalisme,
d'évaluer les nuances et les dissemblances d'avec le fascisme
historique, de ne pas être leurré par les méthodes
mises en œuvres pour nous dissimuler son existence et sa présence
réelles et quotidiennes. Cela permettrait certainement qu'il
ne s'installe aussi aisément et qu'il ne devienne, somme
toute, un mode de fonctionnement banal de l'organisation humaine.
Thierry
Cheverney